2020 – 2021
Noémie est professeur de français en collège, elle a pris une année sabbatique pour faire l’expérience d’autres cultures… pour cela, elle n’a pas été déçue !
Noël 2020
Après un mois et demi sur place, voici de mes nouvelles. Moi, je me sens bien ici, de mieux en mieux même ; j’avance toujours à petits pas dans mes explorations de cet univers si nouveau pour moi, sans témérité, mais avec beaucoup de curiosité.
Ayant peu voyagé auparavant, m’adapter à la vie ici me demande de réapprendre certains fondamentaux que je pensais immuables (plutôt, que je n’avais jamais songé à remettre en question) : le savoir-vivre, l’éducation des enfants, l’hygiène, le rapport au temps et à la parole.
En d’autres mots :
« Quant à moi, je suis comme ton bébé, Coumba. Regardez-le. Il apprend à marcher. Il ne sait pas où il va. Il sent seulement qu’il faut qu’il lève un pied et le mette devant, puis qu’il lève l’autre et le mette devant le premier. »
Cheikh Hamidou Kane, l’aventure ambigüe.
A l’école, nous avons Tonton,c’est ainsi que beaucoup appellent Mamadou Gueye, le directeur de l’école. Moi, j’ai eu envie d’étendre mon champ d’action au-delà de la classe de CM2. J’ai toujours mon groupe composé de sept CM2 en difficulté que je prends tous les soirs et le mercredi après-midi pour une heure de soutien. Nous révisons les leçons, je les aide pour leurs devoirs, ou je prévois des exercices de renforcement des points travaillés avec Mme Sall. Je reste aussi une heure en classe avec eux tous les matins. Cela me permet de rester au courant de la progression, mais j’interviens aussi parfois : s’ils font des exercices, je passe vérifier, expliquer, corriger ; si Mme Sall explique une leçon, il m’arrive de co-animer pour compléter les explications, expliquer d’une autre façon.
Je ne vous cache pas qu’au départ, j’ai eu du mal à trouver ma place dans cette classe (avec le recul, je pense que c’était dû aussi à une méconnaissance de ma part sur les façons de faire ici, au Sénégal). Face à cela, j’ai eu un appui sans faille de la part de Tonton qui s’est toujours montré très ouvert au dialogue, disponible et enclin à trouver des solutions.
Tout ce qui est à présent en place s’est fait au fur et à mesure de plusieurs réajustements. Ce fut un tâtonnement certes fatigant parfois mais surtout très intéressant : que c’est stimulant d’avoir l’appui et la confiance d’un directeur d’école pour imaginer, créer, mettre en place des projets pédagogiques !
Donc, progressivement, j’ai approché les autres classes.
D’abord les CM1, avec qui je mène tous les mercredi après-midi un « Atelier autour du français » composé d’activités ludiques autour de la prononciation, de la lecture, de la mémorisation des mots. Je vous joins le contenu des premiers ateliers.
Ensuite, Tonton m’a demandé si je pouvais enseigner l’anglais. Ainsi, chaque jour, après la récréation du matin, je dispense une demi-heure d’anglais, ou plutôt d’initiation à l’anglais à tous les niveaux à partir du CE1. Cela plaît dans l’école, les élèves sont très enthousiastes et, personnellement, j’y prends moi-même beaucoup de plaisir. La seule difficulté que je rencontre est à l’égard des CE1, qui s’avèrent un peu petits pour cela ; qu’ils soient en surnombre (56 élèves) ne facilite pas non plus la tâche. Nous en discutons actuellement avec M. Diop (l’enseignant de CE1) qui, lui, souhaiterait que je continue car les enfants sont fiers de faire l’anglais. A suivre…
Avec les plus petits (CI – classe d’initiation – et CP), je lis des histoires tous les après-midi. L’idée est née d’une première proposition de lecture pendant les récréations que j’avais lancée avec M. Basene (l’enseignant de CI), puis d’une discussion où nous nous sommes trouvés très en accord avec Tonton sur les nombreux intérêts de la lecture plaisir, orale, contée, etc. Concrètement, j’installe quelques paillasses dans le préau du premier étage, je choisis un livre, le plus simple et le plus illustré possible. Je prends des tous petits groupes, afin de pouvoir les faire participer : je les fais répéter les mots, retrouver des éléments sur les images, deviner et je leur fais formuler quelques phrases simples.
J’ai également deux élèves en grand retard scolaire que je prends chacun une demi-heure par jour pour du soutien individuel en lecture et écriture : Mbaye en CI, pour lequel je succède à Tata Catherine, et Souleymane en CEI. Les deux sont volontaires et progressent bien, je suis optimiste.
Jusqu’à l’arrivée d’Iris (la volontaire de service civique qui arrive en janvier), je tiens encore la bibliothèque, mais je vous avoue que c’est la seule partie à laquelle je ne prends guère d’intérêt.
Pour tout le reste, je me régale !
Merci à vous toutes de me permettre de mener une expérience professionnelle et humaine si riche (et si pleine de sens)
A bientôt.
Bonjour à toutes et à tous,
Comment allez-vous ? Avez-vous la paix ? Et la famille ? Et la santé ? Et les affaires ? En tout cas, j’espère que vous vous portez bien et que vous avez le moral.
Ici tout le monde va bien, les bébés Salioun et Khadim sont en pleine santé, les récréations de l’école sont toujours aussi joyeuses et bruyantes… Tout va bien.
Après une longue période de silence, voici un petit point sur mon activité à l’école. D’abord vous dire que je suis toujours aussi enthousiaste qu’au début à expérimenter l’enseignement autrement, à explorer les différentes formes de mon métier.
Mes actions sont restées assez diverses, et c’est peut-être bien pour cela que j’ai besoin de les réunir ici toutes ensemble dans un « compte-rendu », pour me rappeler les liens entre les projets menés et réaliser que tout se rejoint vers les mêmes but : mettre toutes les chances du côté des élèves et leur apporter de l’ouverture intellectuelle et culturelle. Je ne serai pas tout à fait honnête si je ne vous disais, avant de commencer, que je suis passée par un moment de fragilité. Le statut de bénévole est difficile à gérer, aussi choisi et enrichissant soit-il. Il faut réussir à accepter que le temps, le travail, l’argent investis, sont simplement des dons qui me demandent aussi des sacrifices.
Ça a été difficile avant les vacances scolaires, j’y mettais peut-être trop de temps et d’énergie, je faisais beaucoup d’efforts pour m’adapter et pour (me ?) prouver que j’avais ma place et mon utilité, et d’un coup, cela a perdu du sens pour moi-même, ce qui a été accentué par l’arrivée d’Iris, qui a une mission définie, un lieu pour être à l’école et une rémunération (qui, en plus de permettre de vivre est une réelle reconnaissance du travail). Cela n’a, bien entendu, rien à voir avec la relation que j’ai avec Iris ni avec le plaisir que j’ai eu à son arrivée et que je continue à avoir dans notre vie commune, je parle ici uniquement de statuts.
Heureusement, Tonton (Mamadou, le directeur de l’école) a remarqué mon état de fatigue et a trouvé les mots pour remettre le sens que je ne trouvais plus toute seule. Je ne pourrais pas vous exprimer correctement à quel point cela m’a soutenue, m’a questionnée profondément et justement, et quoiqu’il en soit, ça m’est personnel.
Toujours est-il que je suis davantage attentive à mes propres limites et que tout ce qui est mis en place avec les élèves, je le construis et le mène avec plaisir.
On peut diviser mes actions en trois catégories :
– soutien individualisé ;
– interventions en classe : anglais et lecture ;
– activité du mercredi après-midi.
Avant tout, le cas Baye : après un mois d’observation, j’ai réalisé que Baye n’avait pas les mécanismes d’apprentissage d’un enfant « normal », et je n’avais pas les clés pour déchiffrer son fonctionnement, et donc pas les méthodes pour le faire progresser. J’ai d’abord penché pour de la précocité, mais plus le temps passe, plus nous penchons, Iris et moi, pour de l’autisme. Iris a expérimenté d’autres méthodes dont elle vous parlera. En tout cas, c’est hors de mes cordes, je me sens complètement démunie face à lui et je pense sincèrement que je ne peux rien lui apporter.
On m’a confié un CE1 analphabète, Souleymane. C’est incroyable et fascinant de le voir progresser chaque jour. Il ne savait pas même l’alphabet, et désormais il lit et écrit des mots, et depuis vendredi de toutes petites phrases. Nous avons encore du travail pour lui faire acquérir le niveau attendu en CE1, mais ses progrès sont rapides, ses acquis solides et nous sommes tous les deux très fiers (et pour ma part, émue parfois) des pas franchis. Voici un extrait de son cahier. Il a été rejoint depuis quelques temps par Abdoulaye Faye.
Pour trois CMI qui sont eux aussi passés entre les mailles du filets : Diorkine, Amadou et Mohamed, je reprends les bases de la lecture et de l’écriture. Je vous mets aussi en PJ un petit extrait. Jetez un œil aux corrections de dictées, on y voit bien leur
cheminement de réflexion (enfin, vous y trouverez peut-être pas le même engouement que moi, ahah !)
J’ai toujours mon groupe de CM2 en difficulté, même si ça demande encore aujourd’hui des efforts d’adaptation logistique. Les moments sont donc plus rares que prévus, mais ils restent bénéfiques, on se connait bien maintenant, je sais leurs difficultés, je vois aussi que cela les soulage. Les élèves du groupe peuvent varier selon les besoins mais j’ai mon petit noyau de fidèles : Jeannot, Yacine, Dieynaba, Khadidiatou, Dieynaba.
Mais je réalise que c’est déjà un message assez fourni et qu’il ne serait pas très digeste de vous raconter tout en une fois. Je décide donc de vous ménager un peu et de laisser le reste pour plus tard.
Concernant ma vie privée, je me régale, je suis toujours à fond avec le wolof et Ibou Sarr, j’ai une super coloc, la vie à deux est quand même plus facile et agréable. Le couvre-feu à 21h est un peu pénible mais « c’est pas méchant ».
A bientôt pour la suite.
Noémie.
La fin de l’aventure
« Sénégal », « jappnala te dotuma la baay » :
« Sénégal, je t’ai attrapé et je ne vais plus te lâcher ».
C’est une expression wolof qu’on se dit en amitié. Comment donner une idée juste des sept mois passés ici ? C’est d’autant plus difficile pour moi que mon expérience du Sénégal n’est pas terminée (j’ai signé un CDD de deux ans dans un collège du centre de Dakar), ni mon échange avec l’école Keur Fatou Kaba, du moins je l’espère.
Pourtant, c’est bien la fin d’une aventure…
Quand j’ai décidé de poser mon année sabbatique en 2019, j’attendais d’un voyage de prendre du recul sur nos façons de faire, humaines, sociétales, professionnelles…
Mais sincèrement, j’étais loin d’imaginer que je découvrirais autant, et de façon aussi profonde surtout. J’ai été remuée de l’intérieur, j’ai dû détruire et rebâtir beaucoup de piliers qui supportent ma vision du monde.
J’ai rencontré un pays, des coutumes, des façons de faire, une langue, une philosophie de vie qui m’ont enchantée.
J’ai beaucoup appris des Sénégalais, j’ai admiré leur courage, leur sens du partage, leur pudeur aussi. Le partage du café avec les habitants du quartier.
Il ne s’est pas passé une journée sans que je n’observe un acte de générosité. Ici, les gens donnent l’aumône. Tu peux entrer et manger partout. Le partage est organisé aussi : les tontines, qui sont des cagnottes gérées par une personne du quartier dans lesquelles les gens cotisent pour permettre de financer les projets des uns et des autres. Pendant le mois du ramadan, des groupes de quartier s’organisent partout afin de pouvoir distribuer du pain et du café pour tous ceux qui en ont besoin lors de la rupture du jeûne.
Je me suis beaucoup plu ici. Et aussi beaucoup amusée.
J’ai adoré ma vie de quartier. Mettre à peine le pied dehors pour rencontrer une ribambelle de visages familiers, de connaissances, d’amis.
Mon petit périmètre est chargé de rire et de discussion en tout genre. Cette facilité à entrer en contact qui m’a rendue très heureuse, et je me sens très chanceuse des relations que j’ai tissées ici (même si une fois sortie du cocon de Médina Gounass où tout le monde nous connaissait et nous protégeait, j’ai souvent eu envie de passer inaperçue dans la rue en sachant que ce n’était pas possible).
En somme, j’ai beaucoup appris et je me suis régalée.
Je suis venue faire du bénévolat, et pourtant en faisant aujourd’hui le bilan, c’est un sentiment de reconnaissance que j’éprouve.
Le sport.. dans le sable, pas si facile !
Je suis reconnaissante de la façon dont on nous a traitées, ouvert la porte au sens propre comme au figuré.
Vraiment, l’ouverture qu’on nous a témoignée me touche sincèrement et je dirais presque douloureusement, quand je pense à la façon dont on reçoit, en Europe, nos confrères et consœurs africain.es. Je dis nous, car j’ai partagé l’année avec Iris, collègue, colocataire et amie.
Reconnaissance envers l’association et le directeur, qui m’ont ouvert les portes de ce petit monde de Médina Gounass, qui m’ont accompagnée et fait confiance, bien que j’arrive sans mission, sans statut, et sans date de retour.
Merci donc, aux membres de l’association Keur Fatou Kaba, à Mamadou Gueye et son adorable famille, à la super équipe d’enseignants de l’école, aux habitants du quartier pour leur chaleur quotidienne et à Iris aux côtés de qui j’ai passé cette incroyable année.
Noémie Yay Fall, ou Noémie Thiam, ou Noémie bu sop, selon qui m’appelle ici.